Renforcer l'Adhésion aux Exercices : Stratégies et Conseils pour les Kinésithérapeutes 2/13

Par Guillaume Deville

Introduction

Poursuivons la série de blogs inspirés de l'article de Rachel Chester publié à l'été 2023, dont je vous ai parlé précédemment (👉 ici 👈). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices.

Dans cette série de blog, je vous propose de reprendre un par un chaque déterminant identifié dans l’article. Abordons le 2e déterminant : Le kinésithérapeute partage des informations à propos de la pathologie, des explications justifiant les conseils et les exercices proposés, des instructions orales et écrite. C’est parti !

Intérêts

Outre les preuves scientifiques soulignant l'efficacité de cette stratégie pour renforcer l'adhésion des patients, il est utile de réfléchir aux raisons sous-jacentes. Voici une liste non-exhaustive :

  • Permettre au patient de comprendre ce qui lui arrive et donc de diminuer l’incertitude qui accompagne ses symptômes. Cette incertitude peut lui faire imaginer beaucoup de choses, jusqu’à des causes graves, ce qui peut être très difficile à vivre psychologiquement.

  • Ne pas stopper des activités favorables à sa santé et à sa guérison par méconnaissance du problème. Il arrive souvent qu’une personne arrête une activité qui la maintient en bonne forme, qui lui permet de gérer son stress ou encore qui lui offre des interactions sociales alors que cette activité n’est pas du tout néfaste par rapport à son problème. Par exemple, une personne qui arrête de courir à cause d’une lombalgie alors qu’elle ne ressent pas de douleur en courant, ni pendant, ni après. Dans ce cas, le maintient de l’activité à une dose appropriée ne peut que favoriser sa guérison.

  • Aider le patient à faire le tri dans les informations contradictoires qu’il reçoit notamment par rapport aux différents conseils sur les choses à faire ou à ne pas faire. Nous ne pouvons pas parler de tout ce que le patient est susceptible de lire ou d’entendre à ce sujet. Le nombre de sujets possibles est trop important pour tous les aborder. De plus, il n’est  pas possible de généraliser avec une liste de bons et de mauvais conseils qui sera valable pour toutes les personnes. Un même conseil pourra aider un patient et être défavorable pour un autre, alors qu’ils souffrent tous les deux de la même zone du corps. Plus le patient comprend lui-même son problème et plus il sera autonome pour faire le tri dans ce qui est pertinent ou pas pour lui. 

  • Aider le patient à comprendre la logique entre son problème et la proposition de traitement. Ce lien est tellement évident pour nous, le ou la thérapeute qui propose un exercice, qu’il est facile d’imaginer que c’est évident pour le patient également. Ce biais cognitif est connu sous le nom de “malédiction du savoir” (curse of knowledge). Il décrit la situation où une personne avec une connaissance approfondie d'un sujet a du mal à imaginer le point de vue d'une personne qui ne possède pas cette connaissance. Prendre le temps de vérifier si ce lien est clair pour le patient va augmenter la probabilité qu’il utilise notre proposition de traitement.

  • Faciliter la rétention du plan de traitement proposé. Autrement dit, le patient a plus de chances de se souvenir de son programme d’exercices lorsqu’il se retrouvera seul car il pourra consulter les instructions écrites par exemple.

  • Améliorer la réalisation des exercices. En partageant des instructions écrites ou orales (enregistrement audio ou vidéo sur le téléphone du patient par exemple), il y a moins de risques qu’il se trompe dans la manière de réaliser ses exercices à réaliser. 

  • Augmenter le sentiment d’efficacité personnelle du patient, sa confiance dans sa capacité à appliquer son traitement de manière optimale, car il sait qu’en cas de doute il peut vérifier les détails importants en consultant les instructions fournies par son thérapeute.

Cette liste est loin d’être exhaustive ! Partagez-moi des intérêts supplémentaires sur les réseaux sociaux X et Instagram.

Idées d’application pratique : le comment et les pièges

Nous pourrions nous dire qu’il suffit de coller le plus possible au mots du déterminant proposé et de simplement tout expliquer au patient : sa pathologie, les conseils, les exercices à réaliser et lui fournir un document écrit ou une vidéo et le tour est joué ! Evidemment, vous avez tout à fait le droit de faire cela. Toutefois, je vous invite à réfléchir aux risques qui accompagnent cette manière de procéder :

  • La quantité d’informations peut être trop importante pour le patient qui pourra se retrouver en difficulté pour tout retenir et parfois retiendra des détails peu importants et pas les points clés. Ce risque sera d’autant plus grand si la personne présente des troubles cognitifs bien entendu, mais même sans en avoir, certains patients prennent des médicaments qui perturbent la concentration, d’autres seront en difficulté devant les mots que nous allons utiliser car ils ne sont pas habitués à la terminologie associée à notre profession.

  • Si nous délivrons nos informations directement et que la personne en face de nous a une compréhension de son problème qui ne correspond pas du tout à la notre, nous aurons beau lui expliquer notre point de vue, en fonction de la force de ses convictions, elle pourra conserver son avis et donc ne pas envisager de tester notre proposition de traitement.

  • Certains patients n’aiment pas du tout recevoir des explications sur les détails anatomiques par exemple. Ne pas le respecter peut détériorer l’alliance thérapeutique car la personne peut avoir le sentiment qu’on la force à recevoir des informations qu’elle ne souhaite pas avoir. Si la personne n’aime pas ce genre de détails car ils lui font peur, nous risquons également de provoquer un effet nocebo qui diminuera la probabilité de succès du traitement.

  • Si nous justifions un exercice sur la base d’une explication avec laquelle le patient n’est pas d’accord et que nous ne savons pas qu’il n’est pas d’accord car nous ne lui avons pas laissé la possibilité de nous le dire, il risque ne pas avoir envie d’essayer notre exercice. Parfois le patient nous le dira directement, ce qui peut nous mettre dans l’embarras mais tout de même nous permettre d’en discuter. Parfois ne nous le dira pas, il restera poli jusqu’à la fin de la séance et il reviendra à la séance suivante sans avoir pratiqué l’exercice ou bien il ne reviendra pas.

  • En choisissant nous-même de fournir des instructions écrites, ou orales, ou un enregistrement audio ou vidéo des exercices et des consignes, nous pouvons faire un choix qui ne convient pas à certains patients. Par exemple, conserver une feuille sera compliqué pour quelques-uns, ils vont la perdre. Ou encore, consulter une vidéo sera difficile pour des personnes qui n’aiment pas la technologie.

  • Si nous avons des fiches toutes prêtes, et que nous disons simplement aux patients de suivre les instructions, nous pouvons ne pas réaliser que certaines ne sont pas applicables dans la vie du patient, par manque de matériel, à cause d’un lieu de vie qui ne permet pas les faire, de manque de temps, de moyens financiers, etc.

  • Et même lorsqu’un patient accepte facilement toutes nos explications, nous le positionnons dans un rôle complètement passif. A la moindre difficulté ou question rencontrée, il pourra se retrouver bloqué et attendre de nous en parler avant de poursuivre ses exercices. Cette manière de faire peut être difficilement compatible avec une volonté d’autonomiser nos patients. Si nous adoptons un style directif en leur disant ce qu’ils ont et ce qu’ils doivent faire, il sera difficile de leur reprocher ensuite de ne pas être “acteurs de leur traitement”.

Il est évident que ces risques peuvent être contournés et parfois même il n’existeront pas en fonction de la manière dont nous partageons les informations avec nos patients.

Minimiser les risques

Nous pourrions nous dire qu’il existe trop d’inconvénients potentiels et donc qu’il ne vaut mieux pas utiliser cette stratégie. Il me semble important de se rappeler que toutes les stratégies comportent des inconvénients ou des risques. Si nous abandonnons une idée à chaque fois que nous identifions un inconvénient, il ne va pas nous rester grand chose.

Toute stratégie comporte des avantages, des inconvénients et des bénéfices et des risques potentiels, qui se produiront ou pas. Si les avantages/bénéfices potentiels vous semblent intéressants, voici la démarche que je vous propose : 

  1. Identifier les risques potentiels.

  2. Réfléchissez à comment vous pourriez diminuer la probabilités qu’ils apparaissent en adaptant votre manière d’utiliser la stratégie.

  3. Trouvez un moyen de repérer si les risques que vous avez identifiés se produisent ou non lorsque vous mettez la stratégie en place.

  4. Ayez une idée de comment réagir si jamais ils apparaissent.

Si vous êtes intéressé, un outil de l’Entretien Motivationnel permet de diminuer voire même de supprimer les risques abordés plus haut. Découvrez ou re-découvrez l’outil DDPD sur cette série de vidéos courtes.

Essayons avec un exemple

  1. Nous avons listé certains risques; choisissons le cas où notre proposition de traitement ne colle pas du tout à la compréhension que le patient a de son problème. 

  2. Pour diminuer la probabilité de tomber dans ce piège, avant de lui dire ce qu’il pourrait faire, nous pouvons lui demander ce qu’il comprend de sa situation : “qu’est-ce que vous avez eu comme informations sur votre problème jusqu’ici ?”.

  3. Attention à ne pas supposer que le patient est d’accord avec les informations qu’il a reçues ou lues, il est donc important de le vérifier : “Et vous, qu’est-ce que vous en pensez de ces explications ?” 

  4. Lorsque nous demandons à quelqu’un ce qu’il pense des raisons de son problème, il peut nous répondre qu’il n’en sait rien et que c’est nous l’expert. Certains praticiens craignent cette réponse et donc préfèrent ne pas poser la question. Je préfère me dire que si le patient me dit ça, je sais mieux ce qu’il pense et je peux donc m’adapter. J’ai la confirmation qu’il souhaite bénéficier de mon expertise, et en plus il me l’a exprimé ce qui l’engage un peu plus à la prendre en compte. Mais je reste vigilant car ce n’est pas parce qu’il veut mon avis qu’il sera forcément d’accord.

  5. Si la personne me livre une compréhension de son problème qui ne correspond pas du tout à la mienne, il est possible que ma proposition d’exercices n’ait pas de sens pour lui. Dans ce cas, je lui demande s’il souhaite que je lui partage une autre analyse possible de sa situation. Je peux m’appuyer sur mon expérience professionnelle, sur ce que j’ai déjà constaté avec d’autres patients, sur mes connaissances théoriques ou encore sur les données de la science. Il sera important que je reste attentif à ses réactions non-verbales pour adapter ce que je vais lui dire : si jamais il exprime par son visage ou son corps une réticence à mes explications, je ferai une pause pour aborder ce ressenti avec lui; si jamais il me semble décrocher, je pourrai aussi arrêter mon explication pour l’instant et faire un point en lui demandant : “que pensez-vous de ce que je vous raconte ?”.

  6. Cette dernière question sera systématique pour vérifier à la fois ce qu’il a compris de mes explications mais aussi et surtout ce qu’il en pense et ce qu’il souhaite en faire. Ce n’est pas parce que je lui aurai “démontré brillamment” la supériorité de ma théorie par rapport à la sienne qu’il va l’adopter. D’ailleurs si jamais mon état d’esprit est de le convaincre je risque de déclencher de la réactance chez lui, cette attitude automatique de défense de son libre arbitre, de sa liberté de penser décrite par Brehm. En effet, plus une personne à l’impression que son interlocuteur essaie de lui imposer son point de vue, plus elle sent que sa liberté de choix est menacée, et plus elle aura tendance à la protéger en rejetant le point de vue de cet interlocuteur. C’est un phénomène psychologique normal qu’il est préférable de contourner.

Conclusion 

Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous par exemple. Si ça vous tente, je vous invite à utiliser ma démarche pour minimiser les risques en 4 étapes sur un autre des inconvénients listés plus haut. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux X et Instagram

Cette année, en 2024, je vous proposerai un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.

Références bibliographiques

Chester R, Daniell H, Belderson P, Wong C, Kinsella P, McLean S, Hill J, Banerjee A, Naughton F. Behaviour Change Techniques to promote self-management and home exercise adherence for people attending physiotherapy with musculoskeletal conditions: A scoping review and mapping exercise. Musculoskelet Sci Pract. 2023 Aug;66:102776. doi: 10.1016/j.msksp.2023.102776. Epub 2023 May 29. PMID: 37301059.

Brehm, J. W. (1966). A theory of psychological reactance. Academic Press.

Fogarty JS. Reactance theory and patient noncompliance. Soc Sci Med. 1997 Oct;45(8):1277-88. doi: 10.1016/s0277-9536(97)00055-5. PMID: 9381240.

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