Que cache le terme « Empowerment » en Entretien Motivationnel ?

Par Antoine Deconinck

 Introduction

Le terme « Empowerment » a fait son apparition dans la nouvelle édition du livre de référence en Entretien Motivationnel (1). Déjà largement employé dans de nombreux domaines, sa traduction relève du casse-tête : empouvoirement, autonomisation, habilitation, développement du pouvoir d’agir et bien d’autres…En attendant que la question soit tranchée lors de la sortie de la version française du livre, je vous propose de découvrir ce qui se cache concrètement derrière le concept d’empowerment.

D’une approche problème-centrée à une approche patient-centrée

Lors de ma formation en kinésithérapie, j’ai appris à chercher les déficits, les manques de force et d’amplitude, les incapacités du patient. La logique était la suivante : une fois que je les aurais tous identifiés, je n’aurais plus qu’à les corriger pour guérir mon patient. Dans cette vision du soin, le praticien-expert porte la responsabilité de la réussite du traitement pendant que le patient reste passif. Cette manière de pratiquer reste largement répandue dans notre système de santé.

Or, nous constatons depuis plusieurs années que face à des patients porteurs de pathologies chroniques, cette approche présente de nombreuses limites. Prenez un instant pour imaginer : vous recevez un patient avec une douleur et une raideur majeure à l’épaule qui dure depuis 6 mois. Il souffre beaucoup à la fin de ses journées de travail. Après avoir utilisé la souris d’ordinateur pendant des heures : il a du mal à dormir. Et il ne peut plus aller nager comme il en a l’habitude alors qu’il comptait vraiment profiter de ses prochaines vacances à la mer. Votre examen clinique est en accord avec la prescription du médecin : il est fort probable que le patient souffre d’une capsulite rétractile. Ce patient vous explique alors qu’il compte sur vous pour le remettre sur pieds et qu’il est prêt à supporter des manipulations douloureuses à partir du moment où son épaule refonctionne comme avant. Toute la responsabilité du traitement repose donc sur vous ! Et les attentes sont grandes !

Cette situation peut engendrer, chez le kinésithérapeute, un certain nombre de problèmes :

-              Pression quant aux attentes de résultat

-              Peur que le traitement s’éternise sans réelle évolution

-              Peur de décevoir le patient

-              Remise en cause de ses capacités professionnelles

-              Risque de voir le patient devenir dépendant

-              Énervement de voir que ce patient ne prend pas sa santé en main

Le syndrome du sauveur

Pour mieux comprendre ce qui pousse le patient à s’en remettre ainsi à vous, je vous propose une petite expérience. Pendant les 5 prochaines minutes, vous allez essayer de faire toutes vos activités quotidiennes avec votre main dominante dans votre dos, sans avoir le droit de l’utiliser. Allez-y, essayez de cuisiner, faire votre paperasse ou vos tâches ménagères avec une seule main. Les chances sont fortes que vous n’ayez pas tenu les 5 minutes entières, ou bien que vous ayez ressenti une délivrance une fois le temps écoulé.

Dans une certaine mesure, c’est comparable à ce que vit notre patient : il attend une délivrance et comme il ne peut pas l’obtenir par lui-même, il espère que vous allez lui apporter. La douleur et l’impotence fonctionnelle peuvent le rendre très vulnérables en raison du manque de contrôle qu’il a sur son problème et il a besoin de votre soutien. Pour gérer au mieux la situation, le choix de vous donner la responsabilité du traitement est plus confortable pour lui.

De votre côté, celui du soignant, endosser ce rôle en cherchant à répondre aux attentes du patient peut être tentant. Notre volonté de l’aider nous pousse à utiliser nos connaissances et notre expertise pour régler son problème. Malheureusement, succomber au syndrome du sauveur face à une pathologie où nous n’avons pas le pouvoir de tout résoudre nous-même a peu de chance de faire évoluer favorablement la situation. Le patient risque de ne pas comprendre les progrès laborieux et perdre la confiance qu’il a placée en nous. Et nous risquons de nous sentir très frustré, voire de rejeter la faute sur lui pour mieux supporter ce que nous pourrions percevoir comme notre échec.

De l’empowerment individuel à l’empowerment collectif

Mais si nous n’avons pas la capacité de tout régler nous-même, comment faire pour satisfaire notre patient tout en restant réaliste ? C’est là qu’intervient le concept d’empowerment. Il s’agit d’un moyen de redonner au patient le pouvoir d’agir sur sa situation, d’influer lui-même sur le cours des choses. Cela passe par le fait de déterminer ce qui a besoin de changer pour que la situation s’améliore, puis d’avoir les capacités de mener ce changement à bien. Et qui d’autre que le patient est le mieux placé pour y parvenir ? A condition qu’il soit mis dans les bonnes conditions !

Dans notre exemple, le patient est en attente de soins passifs qui permettront de régler la situation ; mais nous n’avons pas les moyens de répondre à ses attentes. Et nous savons que la stratégie la plus pertinente par rapport à sa pathologie sera de réaliser des exercices régulièrement. Dans un premier temps, nous allons donc informer le patient de l’état actuel des connaissances et de ce qu’il peut réellement attendre de nous. Ce temps d’éducation est primordial, car il permet au patient de mieux comprendre sa pathologie et le traitement qui peut être mis en place. Et il permet surtout de définir le rôle de chacun. Comprendre permet ensuite de reprendre le contrôle. En Entretien Motivationnel, le DDPD est un outil très utile pour permettre de partager toutes ces informations de manière collaborative.

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Nous allons ensuite chercher à fixer des objectifs en concertation avec le patient. Dans une dynamique d’empowerment, le patient participe nécessairement à la définition du changement à mettre en place et décide avec son soignant des solutions pour y parvenir. Pour ce faire, nous allons chercher à nous appuyer sur les idées du patient avant tout, à chercher tout ce que le patient a déjà en lui pour lui permettre de gérer sa pathologie. Quelles sont ses ressources, ses forces, ses réussites passées ? Comment pourrait-il les mettre à profit dans ce contexte précis ? Lorsque nous recherchons l’empowerment du patient, nous essayons de l’aider à trouver les réponses à ces questions. Cette démarche permet de renforcer l’envie et la volonté d’agir du patient, tout en lui donnant confiance dans ses propres capacités. Ainsi, la probabilité que le patient s’investisse dans son traitement augmentera considérablement.

Mais parfois (souvent), la capacité d’agir du patient ne dépend pas seulement de sa volonté. Elle dépend aussi du contexte : l’aménagement du travail, l’accès aux professionnels de santé et aux examens médicaux adaptés à sa pathologie, la possibilité de disposer du matériel nécessaire à sa récupération, etc., autant d’éléments qui ne dépendent pas que du patient. En tant que kinésithérapeute, il sera important de prendre en compte ces éléments, d’aider le patient à identifier ceux qui influencent sa situation et de déterminer avec lui ce qui peut être adapté. Ainsi, le patient saura sur quoi il peut agir et quels leviers il peut actionner.

 

Si nous repensons à notre patient, ses journées de travail semblent augmenter ses douleurs et il pourrait être intéressant d’aller explorer avec lui comment il pourrait les rendre plus confortables. Vous avez sans doute déjà pleins d’idées en tête ! La proposition est la suivante : appuyez-vous d’abord sur ce que peut proposer le patient avant de lui partager vos solutions, et seulement si c’est nécessaire. Ce sera aussi une bonne occasion pour vous de vous enrichir de nouvelles idées quand vos patients penseront à des stratégies pertinentes que vous ne connaissez pas.

Une autre manière de favoriser l’empowerment du patient peut être de l’encourager à communiquer avec des pairs ou de se mettre en relation avec des associations de patients présentant la même pathologie que lui. Voici une des notions principales du concept d’empowerment : accepter qu’en tant que professionnel de santé, nous ne sommes qu’une partie de ce qui gravite autour du patient. Après avoir cherché à agir au niveau individuel, l’empowerment collectif peut jouer un rôle majeur dans certaines pathologies (VIH, diabète, douleurs chroniques). Dans l’exemple de notre patient, il est tout à fait possible qu’il ait eu recours à cet empowerment collectif en faisant des recherches sur internet, en s’inscrivant à des groupes sur les réseaux sociaux, des forums, un discord, etc. Profiter de l’expérience d’autres patients est extrêmement riche, et quelles que soient nos connaissances, nous n’aurons jamais l’expérience de vivre avec la pathologie (à moins d’avoir ou d’avoir eu une capsulite soi-même). Le soutien trouvé auprès des pairs peut être déterminant dans le développement de la capacité du patient à gérer sa pathologie.

Pour aller plus loin dans ce sens, l’implication du patient dans ces associations, sa participation en tant que patient-expert à l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques, à des ateliers d’informations, etc., est une manière de prolonger l’empowerment. Elle participe à une meilleure gestion de cette pathologie à l’échelle collective, et non plus seulement individuelle. C’est en se structurant en association que les patients peuvent influer sur les décisions politiques et faire bouger les choses au niveau de la société. Les enjeux vont donc bien au-delà d’aider les patients à réaliser leurs exercices à la maison. L’empowerment permet in fine aux patients de mieux vivre leur pathologie au sein de la société.

Conclusion

Tous les patients n’iront pas jusque-là, et il sera plus facile pour certains que pour d’autres de développer leur pouvoir d’agir. L’empowerment n’est pas une injonction à ce que les patients deviennent autonomes à tout prix. Il s’agit plus d’une façon de les accompagner vers un meilleur contrôle de ce qui leur arrive. Il est donc important de garder à l’esprit que lorsque nous accompagnons nos patients, soutenir leur autonomie signifie accepter qu’ils sont les seuls à choisir ce qu’ils décident de faire, ou de ne pas faire. Reconnaître cela, respecter leur libre arbitre, permet finalement au patient d’envisager tout le champ des possibles et de réellement reprendre le pouvoir.

Bibliographie

Miller, W. R., & Rollnick, S. (2023). Motivational Interviewing : helping people change and grow. Guilford Press.

Y, L. B. (2004). De l'habilitation au pouvoir d'agir : vers une compréhension plus circonscrite de la notion d'empowerment. Nouvelles pratique sociales, Vol 16, N°2, 30-51.

Fayn, M.-G., Des Garets, V., & Rivière, A. (2017). Mieux comprendre le processus d'empowerment du patient. Recherches en sciences de gestion N°119, 55-73.

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