Introduction à la pratique clinique informée par le traumatisme

Par Camille Leteurtre

En 2022, le gouvernement britannique a publié une définition du terme « pratique informée par le traumatisme ». L’expression « informée par le traumatisme » (ou « sensible au traumatisme ») a été largement utilisée dans le secteur de la santé sans qu’il existe de consensus permettant d’identifier comment cela se traduit en pratique.

 

La définition publiée reste, elle aussi, ouverte. Il faut comprendre que ce travail n’a pas pour objectif de créer une compréhension stricte du terme ou d’aboutir à une sorte de « check list ». Cette définition invite plutôt les cliniciens à porter de l’attention à leur pratique afin qu’elle soit sensible à l’existence potentielle d’un traumatisme. Il s’agit donc de considérer et de reconsidérer de manière continuelle notre pratique sous cet angle. Ce à quoi « ressemble » une pratique informée le traumatisme dépendra du contexte clinique, de la population des personnes accompagnées et de l’agilité de chacun à être réflexif et flexible dans son approche. Cette définition propose des principes clés clairement identifiés, qui offrent un point de départ pour « tendre vers », plutôt que des règles strictes.

Traumatisme

Commençons par la définition donnée du traumatisme :

“Le traumatisme est un état présent qui résulte d'un événement, d'une série d'événements ou d'un ensemble de circonstances perçus par un individu comme préjudiciables ou mettant sa vie en danger.”

 

Bien que propre à chaque individu, l'expérience du traumatisme peut avoir des effets néfastes durables, limitant la capacité à fonctionner et à atteindre un bien-être mental, physique, social, émotionnel ou spirituel.

Le traumatisme peut affecter un individu, un groupe d’individus, ou une communauté.

Plusieurs signes cliniques peuvent être associés au traumatisme et plusieurs diagnostics cliniques existent (exemples : Syndrôme de Stress Post-Traumatique, trauma complexe)

Pourquoi une pratique informée par le traumatisme ?

La pratique sensible au traumatisme a pour intention de limiter les obstacles à l’accès aux soins rencontrées par les personnes ayant un traumatisme. Soyons clairs : il ne s’agit pas de traiter les difficultés liées au traumatisme ! Ce travail relève du rôle des services et des praticiens spécialisés dans ce domaine. Néanmoins, il est important de savoir orienter les personnes vers ces praticiens lorsque c’est nécessaire. Et les kinésithérapeutes peuvent se former et développer cette expertise, qui s’inscrit dans un paysage multidisciplinaire.

Que vous soyez spécialisé ou non, que vous travailliez en kiné du sport, rhumatologie, rééducation périnéale ou respiratoire, il est fort probable que vous rencontriez des personnes qui font l’expérience d’un traumatisme - même si vous ne le savez pas. En effet, les signes cliniques ne sont pas forcément évidents, et souvent la personne ne vous le dira pas.

La pratique informée par le traumatisme invite à adopter, pour toutes les personnes que vous rencontrez :

  • Une approche ancrée dans la compréhension que le traumatisme peut avoir un impact sur le développement neurologique, biologique, psychologique et social d'un individu.

  • Une approche qui permet de reconnaitre les signes, les symptômes et l'impact généralisé du traumatisme sur la personne. Cela inclut une compréhension que le traumatisme affecte la capacité à se sentir en sécurité ou à établir des relations de confiance avec les services de soins, ainsi qu'avec les professionnels de santé. La pratique informée par le traumatisme promeut un partenariat avec la personne, afin de l’autonomiser dans les choix concernant sa santé et son bien-être.

  • Une approche qui tend à prévenir la re-traumatisation, c’est-à-dire, qui cherche à éviter la reviviscence des pensées, des sentiments ou des sensations éprouvées au moment d'un événement traumatique.

J’ai traduit et résumé ci-dessous les 6 principes fondamentaux de cette pratique.

En les lisant, je vous invite à considérer tous les aspects auxquels vous pouvez penser qui construisent et influencent l’expérience de soins de la personne lorsqu’elle est en soins avec vous. De votre posture, style de communication et approche du touché, du mouvement et des exercices physiques, à l’agencement de votre cabinet/plateau technique et même votre système de prise de rendez-vous. Tout à de l’importance !

En faisant ce travail, vous pouvez réfléchir à ce que vous faites qui vous semble bien et déjà aligné avec ces principes.

Puis, vous pouvez vous demander : qu’est-ce qui pourrait être fait différemment pour améliorer l’expérience des patients ?

 

Dans mon service, nous pratiquons actuellement cet exercice. Une réflexion difficile car elle demande de s’auto-évaluer de manière critique. En plus de nos discussions d’équipe, nous avons conduit des entretiens avec des patients afin de collecter leurs expériences de notre service et des soins qui y sont offerts. Il est rassurant de constater que notre approche correspond, en grande partie, à une pratique informée par le traumatisme.

Mais il est aussi crucial d’être honnête et transparent, en identifiant les manquements à ces principes et surtout les leviers possibles pour amener du changement. (Affaire à suivre… )

Six principes fondamentaux qui constituent une pratique informée par le traumatisme

 

Sécurité : prioriser la sécurité physique, psychologique et émotionnelle des patients permettant aux personnes de savoir qu'elles sont en sécurité ou en demandant ce dont elles ont besoin pour se sentir en sécurité, afin de prévenir la re-traumatisation.

 

Confiance : créer un sentiment de confiance en étant le plus transparent, fiable et prédictible possible. Cette démarche implique d’expliquer clairement les interventions, de recueillir le consentement de la personne et de minimiser les évènements inattendus.

 

Choix : écouter la personne et la soutenir dans la prise de décisions partagées, le choix et l’identification d'objectifs pour déterminer le plan d'action dont elle a besoin pour aller mieux. Les personnes qui ont un traumatisme peuvent ressentir un manque de sécurité ou de contrôle sur le cours de leur vie, ce qui peut entraîner des difficultés dans le développement de relations de confiance. S’assurer que la personne ressent qu’elle a le choix est déterminant. Cela inclut le choix de refuser une intervention, le choix de demander à ralentir le rythme d’une séance, le choix de changer d’avis, le choix de ne pas répondre à certaines questions, etc.

 

Collaboration : donner de la valeur aux expériences des patients, offrir à leurs propos toute la place qu’ils méritent et utiliser leurs retours pour mener des changements. Construire ensemble l’intervention, mais aussi recueillir leurs retours pour améliorer l’expérience des patients dans votre cabinet.

 

Autonomisation : offrir et faire ressentir à la personne qu’elle a du pouvoir. Il est important de reconnaître que les personnes qui font l’expérience d’un traumatisme peuvent se sentir impuissantes à contrôler ce qui leur arrive, isolées par leurs expériences et avoir une faible estime de soi. Construire un sentiment d’autonomie et de pouvoir est capital.

 

Considération culturelle : dépasser les stéréotypes culturels et les préjugés basés sur, par exemple, le genre, l'orientation sexuelle, l'âge, la religion, le handicap, la géographie, la couleur de peau ou l'ethnicité, pour offrir un accès à des services adaptés et en exploitant la valeur curative des liens culturels. Comprendre que les expériences de discriminations et préjudices répétées constituent une forme de traumatisme. De même, comprendre que l’expérience de traumatisme peut être générationnelle et éprouvée ainsi.

 

Si vous le voulez, prenez le temps de lire et relire ces principes. De vous en imprégner, à votre rythme, et de les revisiter dans les différents aspects qui forment l’expérience d’un passage dans votre cabinet ou service. Comme mentionné précédemment, il s’agit d’un travail lent et continu, et si possible collaboratif, pour dépasser nos biais et nos angles morts. Il ne s'agit pas de viser la 'perfection', mais plutôt de cultiver une intention bienveillante, celle de prendre soin de la personne en tenant compte de son expérience vécue.

Comme d’habitude, n’hésitez pas à me faire part de vos expériences ou questionnements. La pratique informée par le traumatisme me tient à cœur.

Camille

Référence :

Office for Health Improvement & Disparities (November 2022) - Working definition of trauma-informed practice.

https://www.gov.uk/government/publications/working-definition-of-trauma-informed-practice/working-definition-of-trauma-informed-practice

Recommandations de lecture :

The body keeps the score (FR : Le corps n’oublie rien) – Bessel van der Kolk

Overcoming Trauma Through Yoga: Reclaiming Your Body – David Emerson & Elizabeth Hopper

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