Renforcer l'Adhésion aux Exercices : Stratégies et Conseils pour les Kinésithérapeutes 4/13

Par Guillaume Deville

Introduction

Comment un simple acte pendant la consultation peut-il influencer l'adhérence aux exercices prescrits ? Découvrons-le dans ce quatrième article de ma série basée sur les travaux de Rachel Chester ( ici ). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review, qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices. Parlons du 4e déterminant : le patient réalise les exercices pendant la consultation devant son kinésithérapeute qui l’observe attentivement. Let’s go !

Intérêts

Outre les preuves scientifiques soulignant l'efficacité de cette stratégie pour renforcer l'adhésion des patients (Luszczynska et al. 2017), il est utile de comprendre les raisons sous-jacentes. Voici une liste non-exhaustive :

  • Il semble évident qu’un patient qui n’est pas certain de savoir réaliser un exercice correctement aura moins de chance de le faire seul chez lui. Il pourra avoir besoin de vérifier avec son thérapeute qu’il l’effectue “comme il faut”.

  • Vérifier comment le patient réalise un exercice et ne pas partir du principe que le patient va le pratiquer exactement de la manière que le kinésithérapeute a en tête. Il peut par exemple aller dans des amplitudes qui ne sont pas recommandées pour le moment. 

  • Se donner l’occasion de renforcer la confiance du patient en valorisant son implication et sa capacité à réaliser l’exercice pendant la séance.

  • Se donner l’occasion de motiver le patient avec des encouragements pendant qu’il effectue l’exercice, surtout s’il n’ose pas trop initialement, pour l’aider à se lancer.

  • Faire pratiquer l’exercice pendant la consultation donne de l’importance à cette stratégie de traitement. En effet, si l’ensemble de la séance est dédiée à de l’éducation et à des techniques passives, alors que l’exercice est seulement discuté pendant deux minutes, implicitement ou même inconsciemment le patient peut comprendre que l’exercice n’a pas tellement d’importance. Alors que si le thérapeute observe attentivement le patient qui réalise l’exercice, cette technique prend de la valeur.

  • Il peut arriver que le patient se sente confiant pour effectuer un exercice pendant la consultation, au moment où l’exercice est évoqué, mais que des doutes surgissent une fois chez lui au moment de le pratiquer. S’il l’a déjà pratiqué avec son kinésithérapeute, ces doutes auront pu être discutés pendant la séance. De plus, il aura déjà vécu la preuve qu’il peut faire cet exercice sans provoquer des conséquences désagréables, sans réveiller ses symptômes pour la suite de sa journée par exemple.

  • Enfin, un dernier point qui me surprend toujours : pas mal de patients pensent que s’ils se font mal en réalisant un exercice en notre présence, nous allons pouvoir réparer les dégâts. Ils ont donc moins peur de se lancer si nous sommes à côté. Il est vrai que nous pouvons parfois trouver un exercice ou employer une technique passive qui diminue les symptômes du patient sur le moment et donc “rattraper le coup”. En revanche, si le patient se fait vraiment mal, dans le sens où soit il se fait une vraie lésion tissulaire ou bien s’il déclenche une réaction chimique importante, nous ne pourrons rien faire.

Idées d’application pratique : le comment et les pièges

Pendant ma formation “Motiver ses patients à faire leurs exercices à la maison” je propose aux participants un exercice de travail en groupe qui a pour finalité la démonstration de la manière de faire pratiquer un exercice à un patient afin d’améliorer la probabilité qu’il le refasse ensuite en autonomie. Je vais m’inspirer ici de ce que je vois en formation.

Donner de l’importance en accordant du temps et de l’attention

Parfois la démonstration de l’exercice à pratiquer à la maison est très rapide, encore une fois le temps accordé aux exercices à pratiquer à la maison peut conditionner l’importance perçue par le patient. Si le kinésithérapeute passe vite sur cette partie de la séance, le patient pourra penser que c’est un élément secondaire de sa prise en soins.

Il arrive que le kinésithérapeute ne montre pas beaucoup d’attention à la manière de réaliser l’exercice. Probablement que le cadre de la formation crée un biais ici, et que le comportement des consoeurs et des confrères est très différent en consultation. En effet, vous êtes sans doute attentifs à la façon de reproduire un exercice par vos patients car vous avez une idée précise de la “bonne manière” de le faire. Dans tous les cas, une attention forte augmentera à nouveau l’importance perçue par le patient. Il verra aussi que nous sommes présent avec lui, nous sommes impliqués. En effet, un patient pourrait se sentir un peu seul face à la gestion de son problème si le soignant “ne fait rien”. Pour des patients qui me semblent inquiets du risque de mal faire un exercice, il peut m’arriver de montrer volontairement un certain détachement pour tenter de montrer que je ne suis pas du tout inquiet, que cet exercice ne comporte pas de risque. Mais ce comportement peut poser problème avec certains patients qui seront plus inquiets de voir que je ne vérifie pas attentivement comment il font l’exercice. De plus, ils pourront percevoir cela comme un manque d’empathie, comme si leurs inquiétudes ne m’intéressaient pas. A moi de rester attentif à leurs réactions verbales et non-verbales !

Le risque d’éluder les inquiétudes du patient

En parlant d’inquiétude, voici une situation que je rencontre à chaque formation : le participant qui joue le rôle du patient effectue l’exercice et il dit à son kiné : “ça me fait un peu mal”. Le plus souvent, le participant qui joue le kiné soit ne rebondit pas, soit répond que “c’est normal” ou que “c’est pas grave” et enchaine avec ce qu’il a en tête. En résumé : le patient exprime une inquiétude qui est complètement éludée par son soignant. Cette situation est très risquée car elle peut dégrader l’alliance thérapeutique. En effet, le patient s’inquiète de ce qu’il ressent, suffisamment pour en faire part à son soignant, et ce dernier ne le prend pas en compte. Le patient peut alors se dire que son kiné n’est pas intéressé par ce qu’il ressent. La probabilité que ce patient mette en place une stratégie proposée par ce kiné diminue alors grandement ! Un peu dans la même idée, il reste important de vérifier ce que le patient pense une fois l’exercice réalisé. Si des doutes sont apparus, il peut être crucial d’en discuter. Pour s’engager facilement dans cette voie, nous devons non seulement savoir comment rassurer le patient de manière efficace, mais aussi être à l’aise avec les techniques de communication et d’éducation nécessaires. Si jamais nous ne sommes pas assez confiant, il est tout à fait compréhensible que nous cherchions à éviter ce genre de discussion.

Compliment versus Valorisation

Ce dernier point est lié à l’Entretien Motivationnel qui propose de faire un choix conscient entre complimenter et valoriser son patient. Un compliment va consister à dire au patient des choses comme “c’est bien”, “bravo”, “je suis fier de vous”. Alors qu’une valorisation va se concentrer sur les efforts du patients, ses compétences et dans une moindre mesure aussi sur ses réussites. Une valorisation parle du patient en commençant sa phrase par “vous” et pas par un “je”. De manière générale une valorisation aidera à renforcer le sentiment d’efficacité du patient et à l’autonomiser. Il n’aura pas besoin de nos compliments pour pratiquer ses exercices, il les fait pour lui et pas pour nous. Toutefois, certains patients ont tellement peu confiance que des compliments pourront parfois les aider à se lancer. Il s’agit donc d’un vrai choix. L’importance est de connaître les avantages et les risques des deux options pour faire un choix éclairé, le choix le plus adapté à la situation aujourd’hui avec ce patient. Nous pouvons tout de même considérer que pour la majorité des situations, lorsque des compliments ont été utiles au départ, transitionner vers de la valorisation permettra de diminuer le risque de dépendance du patient à son thérapeute et donc de l’autonomiser. C’est un peu la même histoire que pour les thérapies passives et actives.

Conclusion 

Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous par exemple. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux X (anciennement Twitter) et Instagram. 

Cette année, en 2024, je vous proposerai un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.

Références bibliographiques

Chester R, Daniell H, Belderson P, Wong C, Kinsella P, McLean S, Hill J, Banerjee A, Naughton F. Behaviour Change Techniques to promote self-management and home exercise adherence for people attending physiotherapy with musculoskeletal conditions: A scoping review and mapping exercise. Musculoskelet Sci Pract. 2023 Aug;66:102776. doi: 10.1016/j.msksp.2023.102776. Epub 2023 May 29. PMID: 37301059.

Luszczynska A, Gregajtys A, Abraham C. Effects of a self-efficacy intervention on initiation of recommended exercises in patients with spondylosis. J Aging Phys Act. 2007 Jan;15(1):26-40. doi: 10.1123/japa.15.1.26. PMID: 17387227.

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